Alix D.Reynis, modeleuse. “J’adore parler de ma vie car j’adore ma vie”

Mardi 28 janvier, 60 personnes sont venues écouter le témoignage d’Alix Depondt Reynis chez Les Compagnons. Elles sont restées attentives, ne manquant pas un détail, une réponse, un conseil. 45 minutes d’entretien, au micro de Magali Perruchini, de partage depuis la conviction de devenir artisan jusqu’au développement de sa marque patronymique Alix D. Reynis telle qu’elle est aujourd’hui. S’en sont suivies 15 minutes de questions sans artifice et de réponses franches.

Magali et Alix

Magali et Alix

Les participants

Les participants

Quelques moments clés recueillis par Delphine Burthey :

Quelles ont été tes premières vies professionnelles avant de trouver ton chemin ?

J’ai eu un parcours pour le moins varié : Etudes de droit, Sculpteur, Clerc de notaire, Chef de chantier… Sculpteur c’est très difficile. On doit mettre ses tripes sur la table, avoir un message à faire passer. Je n’en avais pas et je n’en voulais pas. A la fin de ma période de sculpteur je faisais beaucoup de pièces utilitaires. De l’utilitaire joli !

Le déclic :

J’ai obtenu une rupture conventionnelle [rupture du contrat de travail d’un commun accord] auprès de l’entreprise où j’étais chef de chantier. J’avais 35 ans, je venais d’avoir mon 4ème enfant et aucune idée de ce que je voulais faire. Inscrite à l’école Camando, j’ai réalisé que je n’avais pas le temps ni l’envie de reprendre des études. J’ai rencontré un coach qui m’a proposé de faire ce que j’aimais pendant une après-midi. J’aimais et je savais travailler de mes mains. Il me restait de la terre et des outils : j’ai donc eu l’idée de faire une assiette ! J’ai trouvé le bon bout de la pelote et je l’ai déroulé.

Qu’est-ce qu’un modeleur (modeleuse ?) ?

Je suis devenue modeleur : une personne qui fabrique des modèles en plâtre pour pour être coulés en porcelaine de Limoges. Ils sont ensuite produits en série : création du modèle, du moule et de l’outillage nécessaire.  

Comment se sont passés Les débuts ?

Avec mon expérience de la sculpture et de la terre, je me débrouillais pour faire des moules. Puis j’ai eu les coordonnées d’un professeur via un fournisseur de matière première ce qui m’a permis de faire une semaine de modelage et moulage à l’Atelier des Arts Céramiques avec Céline Turpin, une référence dans ce domaine.

Pendant 4 à 5 ans, j’ai travaillé chez moi dans mon sous-sol. J’y faisais la production et mon salon est devenu mon bureau. J’étais affiliée aux Ateliers d’Art de France dont une des conditions sine qua non était de garder la production dans son propre atelier.

Je souhaitais absolument vivre de mon travail. Mais c’est difficile de tout faire soi-même quand on n’a que deux mains et 24 heures par jour… J’ai alors cherché un sous-traitant pour me faire gagner du temps. Je fais la conception de l’objet et les moules puis je les envoie au fabriquant à Limoges pour qu’il s’occupe de la production finale.

Je touchais encore le chômage, je donnais des cours et je réinvestissais tout ce que je gagnais pour acheter du plâtre… (matière première pas trop chère).

Mon premier gros investissement a été de constituer un stock de bougies parfumées. J’ai emprunté à la banque 15000 euros. J’ai été obligée de me confronter à la réalité économique de mon projet et ça m’a donné confiance. Si la banque me prête de l’argent, c’est que je suis une professionnelle.

Comment vendre et se faire connaitre ?

C’est important de se confronter au marché, d’avoir du feedback sur ce que l’on fait et de se constituer petit à petit un réseau. Au début ça a été par le bouche à oreilles, les ventes chez les copines, à l’atelier, puis les salons professionnels plus ou moins gros, dont Maison & Objet. Des aides sont possibles pour les salons : en étant affilié, les Ateliers d’Art de France finançaient 50% du stand et la chambre des métiers via l’ARCAF à hauteur de 1000€. C’est important de passer par les salons pour se faire connaître (même si ce n’est pas marrant !).

C’était un début de réseau : revendeurs, journalistes, particuliers et un e-shop (non-marchand au début qui a vite basculé en marchand). Instagram n’existait pas encore.

J’ai eu la chance d’avoir des revendeurs emblématiques (Merci, Le Bon Marché). Ça m’a donné une super visibilité. Mais il faut faire attention à ne pas tout accepter même si c’est très tentant. Certains revendeurs ne vont pas forcement bien vous représenter, défendre et comprendre votre ADN. Le risque est d’être noyé au milieu d’autres objets qui n’appartiennent pas au même univers.

Avais-tu une stratégie de marque ? 

Je n’ai pas une stratégie aussi claire que cela. C’est venu petit à petit. J’avais des cibles et des ambitions claires : concurrents et inspirations identifiées. Mais tout s’est affiné en avançant. Je fais tel type d’objet et en découle mon positionnement. Regardez ce que j’aime, c’est ce qu’il y avait chez ma grand-mère ! Mes médailles ressemblent à ma médaille de baptême ! C’est mon histoire avant la stratégie…

Quelle a été l’étape suivante dans ton développement ?

Le premier gros risque a été l’ouverture de la boutique rue Commines réalisée grâce à un emprunt à la banque. Montrer plusieurs bilans en forte croissance (un chiffre d’affaires x2 chaque année), … ça aide. J’ai rémunéré ceux qui travaillaient pour moi avant moi.  Au début, j’ai eu beaucoup de stagiaires mais former non-stop c’était épuisant. Dès que j’ai pu, j’ai embauché d’abord à mi-temps puis à plein temps.

Je suis artisan mais surtout entrepreneure. Une des folies de l’entrepreneur c’est de toujours avoir envie d’aller plus loin. J’ai eu envie d’avoir une boutique rive Gauche. Quand ça doit se faire, tout s’aligne et se déroule incroyablement bien. J’ai visité plusieurs lieux avant de trouver ce local que j’adore rue Jacob appartenant à la SEMAEST justement (Gestion des locaux commerciaux à vocation artisanal et artistique de la mairie de Paris) !

Est-ce compatible d’ être à la fois artisan et entrepreneur ?

Ce n’est pas simple et cela dépend des périodes. Actuellement je passe deux jours par semaine à l’atelier. J’ai embauché aussi pour pouvoir retourner à l’atelier. J’essaie de déléguer tant que je peux.

Comment se démarquer dans univers si concurrentiel ?

La diversification se fait en cohérence avec mon univers de marque. Quand on sait travailler avec ses mains, le medium qu’on travaille importe peu. Il faut être multiple. On a commencé par les bougies parfumées puis on a proposé des luminaires dont la valeur perçue est plus élevée que celle d’une tasse, et nous avons aussi des bijoux car la dimension coup de coeur a beaucoup de valeur. Nous créons les prototypes et sous-traitons la production aujourd’hui en Thaïlande. Malheureusement le coût de la main d’oeuvre en France est trop élevée mais je ne désespère pas de trouver le moyen de ramener la production en France.

Quelle est ta clientèle et comment la fidélises-tu ?

Mes clients sont des particuliers de tout type, de l’étudiante à la cliente plus aisée (suivi que j’ai obtenu grâce à l’algorithme Instagram), des revendeurs qui prennent 50% de marge mais communiquent sur ma marque. Les architectes pour les luminaires principalement sont difficiles à toucher mais passent de gros volumes et les marges sont moins dégradées.

Pour fidéliser c’est important d’être hyper gentille ! Je n’ai pas ou peu de commentaires négatifs sur Instagram. Les personnes en boutique sont très appréciées. On est à l’écoute, disponibles et on essaie d’avoir le meilleur sens commercial possible.

Je n’oublie jamais qu’un client mécontent parle à 10 personnes, un client content en parle à 1 …

Quelle est la part d’Instagram dans ta communication ?

C’est énorme ! On a une viralité phénoménale. Cela ne se substitue pas aux relations presses mais plutôt aux salons style Maison & Objet. C’est une vitrine. Il ne faut pas hésiter à investir même financièrement en sponsorisant ses publications. J’ai aussi un bureau de presse. J’ai commencé à l’utiliser à partir du lancement de la boutique de la rue Jacob et ça me coûte 1500 euros par mois.

As-tu eu des galères ?

Elles ont été plutôt humaines. Au bout de 4 ans d’activité je me suis associée. Une erreur qui a failli couler ma boite. J’ai dû racheter ses parts une fortune. C’est un grand traumatisme. Soit on s’associe au moment où on monte sa boite soit ce n’est pas la peine !

Quelles sont tes prochaines étapes ?

Je n’ai pas envie de devenir une grosse entreprise. J’ai envie de connaitre mes clients et mes équipes. La prochaine étape est sans doute l’ouverture d’une autre boutique. Nous suivons les provenances de nos ventes, cela permet d’envisager la suite…

Un conseil pour les personnes qui voudraient se reconvertir ?

Avoir confiance en soi, écouter qui on est, suivre son intuition et travailler beaucoup. Mais si on se heurte à des portes il ne faut pas y aller. Je ne force pas le passage si ce n’est pas pour moi et je vais ailleurs. En somme du travail et de la passion !